Courir Méditations Physiques – Guillaume le Blanc

La course est une fiction

“L’art du marathonien est un art qui ne cesse de fuir, de devenir toujours plus mobile, liquide. La liquidité, c’est l’état gazeux du temps que le coureur parvient a éprouver quand il est en plein dehors, en état d’apesanteur ou presque et que son corps s’est à ce point dilaté qu’il ne se laisse plus ramener a un point fixe, véritable capteur identitaire, mais qu’il parvient à traverser des états de corps qui sont des états du monde.”

Coureur de fond et philosophe, l’auteur s’oppose à une tradition qui, depuis Zenon, considère la course comme incompatible avec toute réflexion philosophique. Brossant le portrait de coureurs de légende, il élabore une métaphysique de la course à pied et en décrit la sagesse et la finalité.

“La répétition d’une gestuelle aussi futile que l’est celle de courir permet à une vie de se dégager des lois d’engendrement des gestes entièrement mécanisés ou automatisés, pour resplendir alors comme pure contingence. Une vie devient une oeuvre d’art en faisant quelque chose de cette contingence, plutôt que rien. Le développement d’une gestuelle vaut alors comme stylisation d’une vie. Le frivole vaut la peine, car c’est en lui que s’explore la zone de contingence de toute vie”

L’enjeu de Courir : Méditations physiques, se situe dans la dualité âme – corps et ses fluctuations pendant l’effort de courir :

« Idéalement, le marathonien commence kantien quand il éprouve le ‘libre jeu de ses facultés’ et qu’il forme une totalité vitale dont il peut même avoir une appréciation esthétique, le sentiment vital d’une plénitude. Il continue cartésien quand, sentant son corps défaillir, il en appelle à sa volonté pour lui redonner du mouvement. Il finit spinoziste (NDLR: « Ce qui constitue en premier l’être actuel de l’esprit humain n’est rien d’autre que l’idée d’une chose singulière existant en acte », dit Spinoza dans son Ethique) quand l’essentiel pour lui n’est plus que de ‘persévérer dans son être’, alors même que l’esprit et le corps forment deux séries parallèles. » (Courir, p 107)

Aucune philosophie, conclut le Blanc, ne peut à elle seule comprendre le marathonien ; aucune philosophie ne survit à la course.

Meme si arrive le jour ou le marathonien devient un sportif professionnel, il n’en reste pas moins relié a une philosophie du dénouement pour laquelle courir, c’est expérimenter que l’on n’est que de passage, que l’on vit dans le passage. On court avec soi, mais aussi après soi, hors de soi, dans des paysages qui deviennent des invitations a la mobilité.

Le Blanc cite aussi Deleuze et Guattari, “ces autres coureurs qui n’ont sans doute jamais couru mais dont la philosophie est une sorte de course, une épreuve de mobilité (…) Ce qui les intéresse, ce sont les passages, les inventions de relations nées des passages eux-mêmes (…) Le coureur est le non-propriétaire par excellence qui a choisi la mobilité plutôt que la solidité, le nomadisme plutôt que les sédentarités arrogantes.

Et il récuse Baudrillard (“le propre de l’homme est de ne pas aller au bout de ses possibilités”): “Quiconque a fait un marathon sait bien qu’aller au-delà de soi-même a un sens, lequel ne pourra jamais être approché par l’objet technique. C’est cela l’utopie du coureur: la possibilité de se perdre dans son propre corps.

Courir est une façon de voyager. D’abord on peut voyager et courir là où on se trouve. On peut aussi s’imaginer dans un lieu autre, où l’on a couru. On peut même, plus radicalement encore, voyager par le seul fait de courir.”

Mes préférées:

“être addict, c’est se découvrir en vie, irréductiblement en vie

“le coureur est une sorte de batteur qui mélodise le sol, en faisant temps là ou il y a espace.”

– “le coureur est modeste, il sait que sa philosophie de la course ne le mènera pas très loin, mais il sait aussi que le moment viendra ou il se sentira ailleurs. La course a ceci de bête qu’elle vous fait penser à ailleurs alors que vous êtes ici.

“courir c’est apprendre à perdre”

A lire aussi Courir de Jean Echenoz, roman passionnant basé sur la vie de Zatopek, et ce petit bijou qu’est le What I Talk About When I Talk About Running de Haruki Murakami

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